samedi 21 juillet 2018

RDVAncestral : dans la peau d'un tiers en mai 1884

Aujourd’hui, c’est le jour de mon 3ème RDVAncestral …

Me voici dans la peau de François LAVAUD, 59 ans, propriétaire sur la commune vendéenne de St Sigismond, au cœur du marais poitevin, nous sommes le samedi 17 mai 1884.

Près de la vieille Autise, à quelques centaines de mètres du bourg dudit St Sigismond, là devant l’unique maison qui borde le canal. Le printemps bat son plein, la végétation du marais couvre le chemin de halage, les oiseaux chantent leur joie printanière.



J’attends l’arrivée de Me GIRAUD, le notaire du canton, et de son associé Me JAMOIS. Ils m’ont mandé pour les assister dans la maison qui se trouve devant moi, aux fins d’un inventaire de biens meubles de la veuve MARTIN. Ladite veuve a demandé auxdits notaires de faire cet inventaire pour préserver les enfants nés de son union avec son défunt époux, Alexandre MARTIN, décédé ici même il y a quelques années.

Dans la maison, j’entends les voix de la veuve et de son beau-frère, le frère de son défunt époux, Auguste, qui a été nommé subrogé tuteur de ses neveux et nièce il y a quelques jours. Ce dernier est venu de chez lui, le village de la Tiffardière de la commune de St Liguaire, en bateau, par la Sèvre puis l’Autise, d’ailleurs son bateau est là devant moi attaché à un piquet.



Dans la maison , la pendule de la veuve MARTIN, sonne alors les ¾ de l’heure de midi et la carriole des notaires arrivent sur le chemin de halage.
Nous nous saluons quand la veuve MARTIN, sort de sa maison, et sur son pas de porte, nous invite à entrer.

Après quelques minutes d’une conversation courtoise et quelques mots sur la raison de notre présence à tous ici, Me GIRAUD dicte à son collègue, bien installé pour la rédaction de l’acte notarié, la partie administrative de cet inventaire. La comtoise sonne alors un coup, il est en effet une heure du soir.

« A la requête de Madame Marie JOURNOLLEAU sans profession demeurant sur le bord du canal de l’Autise commune de St Sigismond, veuve du sieur Alexandre MARTIN, en son vivant scieur de long décédé au dit lieu le 7 octobre 1877.
Agissant :
1. en son nom personnel à cause de la communauté légale de biens qui a existé entre elle et son défunt mari à défaut de contrat préalable à leur union. A cause des reprises et créances qu’elle peut avoir à exercer contre ladite communauté ou contre la succession de son défunt mari.

2. Au nom et comme tutrice naturelle et légale de :
  • Alexandre MARTIN âgé de 19 ans,
  • Aristide MARTIN âgé de 14 ans, 
  • Marie MARTIN âgée de 12 ans.

Ses trois enfants mineurs issus de son légitime mariage avec feu Alexandre MARTIN.
M.M. Alexandre et Aristide MARTIN et Melle Marie MARTIN habiles à se dire et porter seuls héritiers dudit Alexandre MARTIN leur père décédé.

En présence de :
M. Auguste MARTIN, jardinier demeurant à St Liguaire, Deux-Sèvres.
Subrogé tuteur des mineurs Alexandre, Aristide et Marie MARTIN, nommé à cette qualité qu’il a accepté suivant délibération du conseil de famille des dits mineurs tenu sous la présidence de M. le juge de paix du canton de Maillezais le 8 mai dernier dont une expédition a été représentée aux notaires soussignés.
A la conservation des droits et intérêts des parties et tous autres qu’il appartiendra, sans que les qualités ci-dessus prises puissent nuit ni préjudicier à qui que ce soit mais au contraire sous toutes réserves.

Il va être par Me Benjamin GARNIER notaire à Maillezais et son collègue soussignés procédé à l’inventaire fidèle et description exacte de tous les meubles meublants, habits, linges, hardes, bijoux deniers comptants, titres, papiers, notes et renseignements dépendant tant de la communauté de biens qui a existé entre M. et Madame MARTIN que de la succession du défunt Alexandre MARTIN, le tout trouvé et étant dans les lieux ci-après désignés, faisant partie d’une maison sise sur les bords du canal de l’Autise habitée par les dits époux MARTIN-JOURNOLLEAU.

Sur présentation qui sera faite du tout par Madame MARTIN laquelle avertie du serment qu’elle aura à prêter à la fin du présent inventaire a promis de bien et fidèlement montrer et déclarer tous ce qui à sa connaissance peut dépendre des dites communauté et succession.

La prisée des objets qui en seront susceptibles sera faite par Me GARNIER l’un des notaires soussignés qui prendre l’avis de M. François LAVAUD propriétaire à St Sigismond.
Lecture faite et sous toutes réserves les parties de se requises ont signé avec les notaires à l’exception de Mad. Veuve MARTIN qui a déclaré ne le savoir faire. »

Après avoir signé cette partie administrative de l’acte, Me GIRAUD va commencer à inventorier à haute voix tout ce qui se trouve dans la pièce principale, son collègue va noter minutieusement chaque élément, et je serais à l’écoute des estimations faites pour pouvoir corriger si nécessaire ainsi que la veuve MARTIN et son beau-frère. Juste avant le début de la prisée, la comtoise sonne deux coups …

La prisée commence dans la chambre unique éclairée au midi par une porte et une fenêtre :
1. Une pelle à feu, un trépied, une casserole, un réchaud en fer, un marteau et un soufflet et une petite cruche estimé le tout 5 francs
2. Trois verres, un pot à l’eau, une sallière, un poivrier, deux bouteilles, un verre à pied, une tasse, un charrail et un verre estimés 1 franc
3. Une pendule comtoise avec son boitier estimée 20 francs
4. Un lit à quenouille avec paillasse, ballière, couette, traversin en plumes, oreiller, couverture en laine verte, rideaux et tour de lit en coton bleu estimé 60 francs
5. Un cabinet en bois fort à une porte avec corniche estimé 25 francs
6. Trois parapluies estimés 1 franc 50 centimes
7. Un autre lit à quenouille avec paillasse, ballière, couverture en boulange, traversin en plumes, tour de lit en coton bleu estimé 30 francs
8. Deux sacs contenant environ sept kilogrammes cinq cents grammes de laine estimés contenu et contenant 24 francs
9. Une laiterie estimée 3 francs
10. Six bouteilles, trois fioles, cinq assiettes, deux plats, une soupière, une tasse et trois pots, six cuillères et six fourchettes estimé le tout 1 franc 50 centimes
11. Un fer à repasser, un vilbrequin, une forge, un panier et une boite à pierre à aiguiser estimé le tout 3 francs
12. Une poêle à frire, une cuillère à pot, un petit entonnoir et un pot en fer estimés 3 francs
13. Une passette pour le lait, douze pots à lait, un pot de fer blanc, une buie et un panier à salade estimé le tout avec un sceau en fer blanc 3 francs
14. Une petite glace, une autre glace plus petite estimées 50 centimes
15. Un buffet à deux portes et deux tiroirs surmonté d’un vaisselier estimé 10 francs
16. Douze assiettes, quatre plats, un couvre plat et une brosse estimés 1 franc 50 centimes
17. Quatre chaises en bois blanc foncées en joncs estimées 2 francs 40 centimes
18. Un pétrin estimé 2 francs

Ayant fait le tour des biens dans ladite chambre, nous prenons ensuite l’échelle de meunier pour accéder à un grenier au-dessus de la chambre sise décrite :
19. un chevalet, un rouet, une baratte, deux cruches en paille, une cognée, une paire de vieilles balances en bois, deux pots, une grêle et une vieille scie estimés 3 francs
20. soixante litres de froment estimés 8 francs
21. huit litres de haricots estimés 2 francs

Nous redescendons et sortons de la maison et nous entrons dans une écurie au levant de la chambre ci-dessus : 
22. vingt fagots de bois estimés huit francs
23. une cruche en grès et une demi barrique vide estimées 3 francs
24. une ferrée, un billot, une cognée, une hou, deux coins, un mail, une bouëlle, un baquet, une fourche à trois doigts, une roue de brouette et son essieu, un paquet de cordes et un balai estimés 5 francs 50 centimes
25. un lot de dix moutons et brebis estimés 200 francs



Puis dehors, hors de la maison et de l’écurie, sous le soleil radieux de cette mi mai :
26. un chaudron en cuivre estimé 50 centimes
27. un bateau en mauvais état estimé 2 francs

Ensuite, la veuve MARTIN nous signale que nous n’avions point inventorié son linge rangé dans son cabinet, nous rentrons de nouveau dans la maison et ladite veuve nous ouvre ledit cabinet, on y trouve le linge suivant :
28. dix-huit draps estimés 50 francs
29. six nappes estimées 6 francs
30. quinze torchons estimés 6 francs
31. deux sacs estimés 50 centimes
32. douze chemises d’homme estimées 18 francs
33. quatre kilogrammes de lin estimés 8 francs
34. vingt-quatre chemines de femme estimées 42 francs
35. cinq jupons en laine, cinq justins, douze mouchoirs de poche, douze coiffes, douze bonnettes, une coiffe noire estimé le tout 35 francs

Total de la prisée du mobilier : 593 francs 90 centimes.

Nous finissons de faire ce total de ladite prisée lorsque la demi-heure de la 3ème heure du soir sonne à la pendule de la maison.

La veuve MARTIN déclare qu’elle ne possède pas d’argent comptant.

Voici maintenant l’heure de l’étude des titres et papiers. A ce moment-là, la veuve MARTIN nous déclare que son mari et elle s’étaient mariés sous le régime de la communauté légale à défaut de contrat, que son mari est mort intestat.
Nous commençons par l’étude des titres et papiers propres au défunt. Me GIRAUD dicte à son collègue :

«  Cote première, deux pièces ;
La première pièce de cette cote est l’expédition d’un acte BEGUIER notaire à Niort le 15 août 1868 contenant vente par Alexandre MARTIN et par les cohéritiers dans la succession de Marie RIBREAU épouse d’Abraham MARTIN, sa mère à un sieur Louis MATHE demeurant à St Liguaire d’un champ de cinquante ares situé commune de St Liguaire moyennant un prix de 1370 francs que Mad. Veuve MARTIN déclare avoir été payé avant le décès de son mari.
La deuxième pièce est l’expédition d’un acte du même notaire en date du même jour contenant vente à titre de licitation par les mêmes d’une vigne située commune de St Liguaire dépendant de la succession de Marie RIBREAU. Cette vente a été faire moyennant un prix de 350 francs que Mad. Veuve MARTIN déclare avoir été payé avant le décès de son mari.
M. MARTIN fondé dans ces prix de vente pour 19/80ème a donc touché de ce chef 408 francs 50 centimes dont sa succession doit exercer la reprise.
Mad. Veuve MARTIN déclare que la succession de son mari n’a aucune autre reprise à exercer et qu’elle ne doit aucune récompense. Ces deux expéditions représentées par le subrogé tuteur à qui elles avaient été confiées par les acquéreurs n’ont été ni cotées ni paraphées. »

Nous voici arrivé, à l’étude des titres et papiers des acquêts de la communauté MARTIN-JOURNOLLEAU.  La veuve MARTIN nous sort une pièce unique :

« Cote deuxième, une pièce ;
La pièce unique de cette cote est l’original d’un acte sous signature privée en date à St Sigismond du 23 décembre 1868 enregistré contenant vente par un sieur Pierre GELLE à Alexandre MARTIN d’un pré marais sis au tènement des Bourgnons commune de St Sigismond contenant 6 ares. Cette acquisition a été faite moyennant un prix que Mad. MARTIN déclare avoir été payé. Cette pièce a été paraphée et inventorié comme pièce unique de la présente cote. »

Là, la veuve MARTIN, nous indique que la maison où nous sommes actuellement, pour faire cet inventaire, a été construite par elle et son mari sur ledit terrain au cours de l'année 1870.
Me GIRAUD demande ensuite à ladite veuve s’il existe des créances et des dettes dans les communauté et succession. Elle déclare :

« Qu’à sa connaissance il ne dépend aucune créance de la communauté qui a existé entre elle et son mari.
Par contre, il est dû :
1. A M. ROBIN JARRILLON pour prêt en principal 500 francs.
2. Au même pour deux années d’intérêts 50 francs.
3. Au même pour le coût du renouvellement de l’inscription qui garantit cette créance 10 francs 45 centimes.
4. A M. Charles LALUBRIE propriétaire à Oulmes une somme de 900 francs restant due sur le prix d’une vente de bois faite à Alexandre MARTIN dans le courant du mois de novembre de l’année 1874.
5. A M. PERRIN Jean maçon à St Sigismond pour travaux faits à la maison du vivant du mari 40 francs. Mad. MARTIN déclare que sur ce même compte elle a depuis le décès de son mari payé au sieur PERRIN une somme de 93 francs.

Le total des déclarations passives sont donc de 1593 francs 45 centimes. »

Le moment est alors venu pour la veuve MARTIN de prêter serment :

« de n’avoir rien pris ni détourné, vu ni su qu’il ait été rien pris ou détourné par qui que soit et d’avoir fidèlement fait comprendre au présent inventaire qu’elle a affirmé sincère et véritable, tout ce qui à sa connaissance peut dépendre des dites communauté et succession. »

Me GIRAUD signale à la veuve MARTIN que tous les objets inventoriés sont demeurés en sa garde et possession, cette dernière le reconnait et s’en charge pour en faire représentation quant et à qui il appartiendra.

Nous voici donc arrivé à la fin de cet inventaire et les notaires, après avoir signé l’acte nous invite moi, François LAVAUD et Auguste MARTIN à en faire de même.

Nous nous exécutons au moment où sonnent quatre coups à la pendule.



Nous discutons encore quelques minutes puis les notaires se retirent et montent dans leur carriole. 
Je salue aussi la famille MARTIN avant de partir. Je quitte la maison, dehors je me retourne quelques secondes devant la maison ....



Puis, je suis le chemin de halage pour regagner le bourg de St Sigismond …

Quelques pas seulement, je lève la tête vers le ciel, je regarde ce ciel bleu sans aucun nuage, je ferme les yeux, un silence d’une seconde avec un souffle de vent, et me revoilà de nouveau en 2018, et j’ai « regagné » mon corps …

Très content d’avoir pu participer, côtoyer, vivre durant ces quelques heures, dans le corps d’un tiers, à ce moment important de la vie de mes ancêtres, dans la maison d’Alexandre MARTIN (1841-1877) et Marie JOURNOLLEAU (1839-1924), celle qui deviendra plus tard « Néné Lu ».