Il y a 138 ans, disparaissait une aïeule, une invisible comme nous les généalogistes qualifions les ancêtres qui n'ont laissé que peu de trace de leur passage dans ce monde.
Elise LENOBLE, dans son blog "Auprès de nos racines" fut la première à employer ce qualificatif il y a quelques années avec ce billet : "Histoire familiale : comment parler des Invisibles".
Malgré ce qualificatif, si l'on s'en donne la peine, chaque invisible a pourtant laissé dans nos archives, quelques traces.
En voici l'exemple avec "mon" invisible mise en avant en ce jour anniversaire de sa disparition.
Cette aïeule décédée le 5 juillet 1881, est Rose Marie MARTINEAU, mon arrière arrière grand mère.
Au fil du temps, Rose pourra être prénommée Marie-Rose ou simplement Marie.
Remontons encore le temps, seulement 50 ans plus tôt, pour en arriver à la naissance de Rose.
Son enfance
Le 25 avril 1831, dans la maison familiale de Louis MARTINEAU, cabaretier et laboureur âgé de 34 ans, son épouse Rose ROBIN, du même âge, accouche vers 15 heures de son sixième enfant. Rose pousse donc son premier cri, dans cette maison base typique du marais breton vendéen, dans le village dit du moulin de la Chaussée de la commune du Perrier. Moulin de la Chaussée puisque, devant ladite maison familiale, trône un moulin à vent, propriété actuelle du meunier Joseph MOUILLEAU, mais autrefois propriété du grand père maternel de Louis. La route (aujourd'hui simple chemin) qui sépare la maison du moulin est la route qui mène de Challans à St Jean de Monts, d'où l'emplacement idéal pour un cabaret !
Le moulin de la Chaussée aujourd'hui, à gauche de la photo et du chemin l'emplacement de la maison MARTINEAU |
Ses parents se sont unis en l'an 1817 dans la commune natale de sa mère, Challans, voisine de celle du Perrier.
A sa naissance, Rose n'avait plus aucun grand parent vivant.
Avant Rose, sa mère avait donc donné la vie déjà cinq fois dans ladite maison :
- Louis Pierre (1818 - à lire : une épine collatérale)
- Jean Louis (1819-1875)
- Pierre Louis (1821-1821)
- Pierre Louis (1823-1855)
- Rose "Marie" (1826-1870)
La double profession de son père, lui vient de sa défunte mère, Marie Anne ARTUS (1768-1825). Elle même avait repris l'activité de sa belle mère Rose VERONNEAU (1740-1805) veuve MARTINEAU qui tenait déjà du temps des troubles vendéens cabaret dans sa maison près du bourg. D'ailleurs, sa belle mère dite "Rousotte MARTINEAU" est citée dans cet article d'un généalogiste vendéen d'après les archives paroissiales par Mr le curé MULOT : http:/p.martineau.free.fr/soullans/20.html.
Mais revenons en à Rose ...
Dans le logement voisin et mitoyen, vit sa tante paternelle, Marie (1792-1852) et son époux Pierre BURGAUD (1783-1839) et leur dernière née, Rosalie (1824-1860).
Extrait du cadastre napoléonien de la commune du Perrier de 1831 |
Rose fait donc ses premiers pas très entourée, même si ses frères aînés sont déjà placés comme domestique dans des fermes environnantes.
En août 1833, le jour de ses 28 mois, elle accueille un petit frère, Joseph (1833-1907).
Malheureusement, seulement quelques mois plus tard, au milieu de la nuit le 12 au 13 mars 1834, sa mère, Rose ROBIN, meurt prématurément à 37 ans. La petite Rose n'a pas encore 3 ans !
Le cours de sa vie va être chamboulée ...
Tout d'abord, Louis abandonne sa maison et sa double activité, et emménage avec ses enfants dans une borderie distante de quelques centaines de mètres mais sur la commune de Challans, la borderie du petit Breuil près de la Bigotterie (qui appartient à son oncle maternel Mathurin ARTUS (1769-1841)).
Ensuite, son père retrouve rapidement une compagne et moins d'un an après son veuvage, Louis, âgé de 38 ans, épouse Marie ERAUD (1808-1856), âgée de 26 ans, le 18 février 1835 au Perrier (après la signature d'un contrat de mariage le dernier jour de l'année 1834).
Extrait du cadastre napoléonien de la commune de Challans 1832 |
Rose vient d'avoir 4 ans.
Recensement de population de Challans en 1836 |
Dès lors, sa belle mère, qui l'élève, donne naissance à plusieurs enfants :
- Pierre "François" (1836-1867)
- Jean Henri dit Jean-Marie (1837-1893)
- Marie Rose (1840-1880)
Rose atteint ses 10 ans, je suppose qu'elle aide déjà sa belle mère pour les petites tâches ménagères de la borderie. Rose n'ayant jamais eu d'instruction, elle ne saura jamais ni lire ni écrire.
Recensement de population de Challans en 1841 |
Un nouveau petit frère voit le jour, Augustin Pierre dit Auguste (1842-1920). Ce petit frère est arrivé seulement quelques jours après que la décision est été prise de retourner dans la maison de la Chaussée ...
Et, il est alors temps pour elle, comme ses frères et sœur aînés auparavant, d'être placé comme servante de ferme.
Pas encore adolescente, Rose doit donc quitter le foyer paternel pour gagner et faire sa propre vie.
Carte postale d'illustration, j'y vois Rose et ses frères |
Déjà au travail
Elle entre aux services de la famille DEVINEAU, dont le patriarche, Jacques (1777-1852) est métayer à la Noue du Pay, métairie de la commune de Challans.
Extrait du cadastre napoléonien de la commune de Challans 1832 |
A cette époque, la famille DEVINEAU est ainsi composée : le père Jacques, Marie-Anne PAPON (1784-1850) son épouse et leurs enfants, Rosalie (1811), Marie-Jeanne (1813), Louis (1815-1846), Victoire (1819), Jacques (1824-1846) et Marie (1828-1888).
De la routine du labeur de Rose, les jours, les semaines et les mois passent.
Elle apprend la naissance d'une sœur en 1845 après le retour de la famille MARTINEAU dans la maison du moulin de la Chaussée, puis le mariage de son frère aîné Pierre Louis en 1846 (est-elle de la fête ?), et devient en même temps tante et grande sœur en 1847 et 1848.
Entre temps, à la Noue du Pay, les filles Rosalie et Marie-Jeanne se sont mariées et ont quittées la métairie. Les fils Louis et Jacques sont décédés prématurément.
Recensement de population de Challans 1846, Rose est dite âgée de 13 ans, elle en a 15 ! |
Et en septembre 1846, la dernière fille, âgée de 18 ans épouse Jean HUGUET (1819-1889) qui s'installe à la métairie pour seconder le patriarche qui approche les 70 ans. Deux ans plus tard, c'est Victoire, âgée de 29 ans qui se marie enfin avec Jean BRITON (1819), le couple reste aussi à la métairie. Puis, la "patronne", Marie-Anne PAPON, décède le 2 janvier 1850 à l'âge de 65 ans.
Recensement de population de Challans 1851 |
En 1851, la belle mère de Rose, âgée de 42 ans donne naissance à son dernier enfant, un enfant mort-né. Quelques jours plus tard, Rose a 20 ans.
Servante dans la même métairie depuis des années, elle est maintenant une jeune femme.
Au décès du patriarche de la Noue du Pay au début du mois de mars 1852, elle ne quitte pas la métairie et devient la servante du couple HUGUET-DEVINEAU, qui ont deux fils nés en 1847 et 1852.
Dans les premières années de 1850, ses frères et sœur aînés se sont unis. Son frère Pierre Louis est même décédé en janvier 1855 à l'âge de 31 ans sur un chantier alors qu'il était terrassier dans la commune de Barbâtre sur l’île proche de Noirmoutier.
Recensement de population de Challans 1856 |
Pendant ce temps là, à la Noue du Pay, le patron reçoit de temps à autre son neveu Jean "Baptiste" Louis PONTOIZEAU (1832-1882) qui vit et exploite avec son père, Louis (1809-1874), la métairie du Ballon dans le quartier dit des Chênes, non loin de là. Le jeune homme boiteux, prénommé Baptiste en famille mais aussi souvent Jean-Louis, lui fait la cour et très vite l'annonce est faite d'un mariage.
Carte postale d'illustration, j'y vois Rose et Baptiste endimanchés |
Une communauté familiale
Le mariage est célébré le 5 novembre 1856 à la mairie de Challans à 10 heures du matin.
Baptiste a 24 ans et Rose 25. Leurs pères, deux Louis, sont présents et consentants.
Baptiste, tout comme Rose fut orphelin de mère dans l'enfance et son père est donc accompagné de sa seconde épouse Rose ABILLARD (1797-1863), tandis que le père de Rose est veuf depuis quelques semaines. Son patron, Jean HUGUET est son témoin, et devient ainsi son oncle par alliance. Mariés, parents et témoins déclarent ne savoir signer.
Après de nombreuses années passées à la Noue du Pay au service de la famille DEVINEAU puis HUGUET, Rose s'installe dans la communauté familiale PONTOIZEAU au Ballon, sous l'autorité de son beau-père. A son arrivée dans la famille PONTOIZEAU, le foyer est ainsi composé :
- le patriache, Louis 47 ans,
- son épouse, Rose ABILLARD, 59 ans,
- Baptiste, 24 ans,
- Auguste, 22 ans,
- Marie-Rose, 18 ans
- et Henriette, 14 ans.
Extrait du cadastre napoléonien de Challans 1832 |
Elle a tout juste pris ses repères au Ballon, lorsque très vite Rose est enceinte.
Son premier enfant voit le jour le 7 septembre 1857 à 23 heures, il est prénommé Jean-Louis.
Seulement quelques jours plus tard, elle apprend le décès de son père. Louis MARTINEAU est mort chez lui dans sa maison au moulin de la Chaussée, le jour de son anniversaire, le 28 septembre. Il avait 61 ans.
Très rapidement après le deuil, la succession du père MARTINEAU est gérée par l'ensemble de la nombreuse fratrie. A cet événement, la fratrie compte 10 enfants vivants dont de nombreux encore mineurs (mais 11 héritiers avec son neveu orphelin). Les "petits" MARTINEAU sont tous placés comme domestique ou servante dans les environs :
- Jean-Marie, 20 ans, domestique à la Guelerie de Soullans,
- Marie, 17 ans, domestique aux Rouches de Soullans,
- Auguste, 15 ans, domestique à la grande Jalonnière de Sallertaine,
- Rosalie, 12 ans, domestique au Porteau de Challans,
- Louis, 9 ans est quant à lui placé à Bel Air du Perrier (sans doute dans la famille ?!).
Après un accord, la maison familiale, et son jardin attenant, est vendue. Nul besoin de chercher longtemps un acheteur, le meunier Joseph MOUILLEAU, propriétaire de nombreuses parcelles au moulin de la Chaussée, l'achète pour 300 francs en décembre par devant Me BOUHIER, notaire à Challans.
Extrait de l'acte de vente |
Les majeurs reçoivent chacun 27 francs et 27 centimes, et pour les mineurs, l'acheteur s'engage à les payer au fur et à mesure de leur majorité !
La maison natale de Rose quitte donc la famille MARTINEAU. Même si elle ne doit avoir aucun souvenir de sa prime enfance dans ladite maison, je ne doute pas que la vente de la maison ancestrale ne la touche. Celle de sa tante, a été vendue quelques années plut tôt, en 1853, après son décès.
La déclaration de succession de son père est faite en mars 1858.
Le jour de ses 49 ans, le 15 juillet 1858, par devant Me VIAUD-GRAND-MARAIS, notaire de Challans, le patriarche PONTOIZEAU prend en charge une métairie plus grande et installe sa communauté familiale à la métairie du Caillou Blanc, aussi dans le village des Chênes, à quelques centaines de mètres du Ballon. Cette métairie est une construction plus récente, puisqu'elle n'existait pas en 1832 à la création du cadastre de ladite commune.
Extrait d'une carte de 1887 |
Cette installation est actée pour septembre 1859, lors de la signature du bail avec le propriétaire, Philippe YGNARD (ou IGNARD) (1795-1868), avocat à Paris et propriétaire depuis une trentaine d'années des terres des Chênes, qui comportent outre le logis, plusieurs métairies et borderies, dont la métairie du Ballon que les PONTOIZEAU exploitaient auparavant.
logement de la métairie du Caillou Blanc aujourd'hui, quelques peu modifié et à l'abandon |
Quelques saisons passent, Rose est maintenant sur le point de donner naissance à son deuxième enfant en ce début d'année 1861. Le petit Auguste voit le jour le 12 février à 23 heures. Son oncle paternel (et parrain), Auguste et son grand père déclarent sa naissance à la mairie le lendemain. Baptiste est sans doute resté auprès de son épouse.
Les semaines passent, le printemps est là et Rose a 30 ans.
Recensement de population de Challans 1861, l'âge de Rose (Marie) et son époux est erroné, et surtout le lieu ne correspond pas, même si le Ballon et le Caillou Blanc sont des métairies voisines. |
Puis quelques mois passent, et elle est de nouveau enceinte.
Elle met au monde sa première fille le 16 décembre 1862 à midi, Marie-Rose Angélique.
Cette fois ci, Baptiste, son frère Auguste et son père Louis font la déclaration à la mairie.
Seulement quelques semaines plus tard, la femme du patriarche du Caillou Blanc, Rose ABILLARD, décède dans la nuit du 5 au 6 mars 1863. Elle était âgée de 65 ans, ses beaux fils Baptiste et Auguste déclarent son décès.
Avec ce décès, Rose devient la seule femme de la métairie, même si ses belles soeurs, Marie-Rose 24 ans et Henriette 20 ans, sont devenues des jeunes filles "bonnes à marier".
Son beau-père décide rapidement de se remarier et c'est chose faite en novembre.
C'est donc jour de noces, le 6 novembre au Caillou Blanc, Louis, alors âgé de 54 ans, vient d'épouser en troisième noce Marie-Anne JOLLY, veuve de Jean PEROCHAUD (1809-1862), âgée de 51 ans. Le couple PEROCHAUD vivait non loin, dans la ferme des Rigonnières des Chênes. Marie-Anne rejoint donc la communauté familiale PONTOIZEAU au Caillou Blanc avec sa dernière fille Marie (1846-1908).
Pour une meilleure gestion, le patriarche décide de créer une société agricole, comme il l'avait fait jadis avec ses premières épouses. Cette création est faite devant notaire, Me HERBERT, en son étude dans le bourg de Challans, le 1er janvier 1864, tous les membres sont présents, sauf Rose restée à la métairie avec ses enfants.
"Plusieurs articles définissent ladite société :
- Création pour l'exploitation de ladite métairie du Caillou Blanc
- PONTOIZEAU père est le chef et administrateur
- La durée de la société est illimitée, seul le décès de PONTOIZEAU père mettra fin à ladite société. Le départ ou décès des autres membres n'entraîneront aucun changement.
- chaque membre y apporte ses biens meubles ainsi que son travail. Si un des enfants quitte la société, ses biens y resteront.
- tous les membres de la société seront nourris, vétus, chauffés et soignés par la société tout le temps de leur présence dans ladite société.
- la société est fondée aux proportions suivantes :
- le couple fondateur pour 4/16,
- et les enfants pour 12/16 à part égale.
- en cas de départ ou décès des enfants PONTOIZEAU, eux ou leurs héritiers pour la valeur de leurs biens resteront néanmoins dans la société jusqu'au décès de PONTOIZEAU père."
Cet acte est rédigé en présence des trois fils de Marie-Anne JOLLY :
- Jean (1835)
- Alexis (1838-1876)
- Jean "Louis" (1842-1898), tous les trois domestique sur la commune.
Voici donc au 1er janvier 1864, la communauté familiale PONTOIZEAU établie en société agricole en bonne et due forme. Pour le quotidien de Rose, rien ne change ... si ce n'est qu'une nouvelle femme devient sa "patronne".
Peu après, le patriarche ne décolère pas lorsqu'il apprend que sa cadette, Henriette, est enceinte ! Rose était sans doute dans la confidence depuis quelques temps.
C'est à cette même période que son autre belle sœur, Marie-Rose épouse Louis PEIGNE (1832-1900) un jeune veuf de 31 ans. Cette union est célébrée le 1er février 1864. Marie-Rose quitte donc la communauté familiale pour s'installer avec son époux au village des Vignes.
Avec l'aide de Rose et de sa belle-mère, mais aussi et surtout de la sage-femme Gracieuse TESSON, Henriette, alors âgée de 21 ans, accouche d'un petit garçon le 8 mai au matin. Il est prénommé Joseph "Pierre". Il y a maintenant quatre enfants au Caillou Blanc.
Quel récit riche et détaillé pour l'histoire d'une invisible ! Merci pour cette bien intéressante lecture.
RépondreSupprimerQue d'informations :) Avec tous ces documents que tu as retrouvé, tu peux effectivement raconter une histoire riche et intéressante. Bravo
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