lundi 19 novembre 2018

P comme Pasteur Pierre POUGNARD du Poitou

La lettre P du ChallengeAZ, me permet de vous présenter un personnage important parmi mes collatéraux, le Pasteur Pierre POUGNARD, dit Dézerit, un pasteur du renouveau protestantisme de l’Ouest.


Dans mon Poitou ancestral, le protestantisme a tenu une grande place. De nombreuses familles ont été protestantes, et une, la famille POUGNARD a même eu en son sein un pasteur, Pierre.

Pierre est le 10ème enfant de Daniel (ca 1682-ca 1732) laboureur métayer et de Marie VANDIER (1687-ca 1761), mes sosa 1932 & 1933. Il voit le jour le 23 mars 1731 dans le village de Chamier sur la paroisse d'Azay le Brûlé (79) et reçoit le même jour le baptême catholique. 


Très tôt orphelin de père, il restera vraisemblablement sous le giron familial, puisque son frère aîné Daniel a déjà 24 ans lors de sa naissance.
Sa famille est protestante depuis longtemps, malgré les abjurations forcées de ses ancêtres lors des dragonnades de 1681 et 1685.

Après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, l’Eglise réformée fut d’abord dans le désarroi mais pu se ressaisir et se réorganiser en sortant peu à peu d’une période de la clandestinité.

 « Vers 1740, les églises protestantes du Poitou commencèrent à se reconstituer et le 31 mars 1744 eut lieu, à Prailles, le premier synode poitevin au Désert (période de plus d’un siècle entre la révocation de 1685 et l’Edit de tolérance de 1787, mais divisée en deux, la première plus violente avec de nombreuses persécutions jusqu’aux environs de 1760, la seconde, plus apaisée avec une tolérance relative). Si les persécutions violentes avaient cessé depuis peu (le dernier pasteur martyr du Poitou périt sur le gibet en août 1738 (source : bulletin de la Société Historique du Protestantisme Français n° 54 de 1905, page 308)), la situation des protestants restait précaire et les tracasseries ne leur étaient pas épargnées : emprisonnement ou enfermement dans des couvents, baptême ou re-baptême forcé des enfants par les ministres catholiques, destruction ou fermeture de temples, dispersion d'assemblées de prière, le tout assorti parfois d'agressions physiques et souvent de pressions morales qui nous paraissent aujourd'hui intolérables. »

Après cette mise en contexte, revenons-en à Pierre et à son parcours.

Tout d’abord élève puis proposant, c’est à dire qu’il avait été examiné en synode et qu’il avait été habilité à prêcher des propositions ou sermons, auprès du pasteur Pierre GAMAIN dit Lebrun, il passe ensuite quelques années au séminaire de Lausanne en Suisse pour parfaire sa formation.
C’est d’ailleurs, durant cette période où Pierre était étudiant auprès de GAMAIN qu’il fut le dimanche 10 mai 1750, lors d’une assemblée surprise près de Prailles, surpris et qu’ils purent, lui et son maître s'échapper de justesse.

Attendu pour son aide précieuse par GAMAIN, il reçut la consécration en janvier 1760 et le synode du Poitou du 4 mars suivant l’adjoint audit GAMAIN.

C'est sans doute dès cette époque, que Pierre prend le pseudonyme Dézerit, vraisemblablement en rapport avec son activité au "désert".

GAMAIN et Pierre sont maintenant 2 pour desservir les 14 églises du Poitou. Pierre va se donner corps et âme à son ministère. Ainsi, on sait qu’en seulement 3 ans, de 1760 à 1763, il va célébrer 478 mariages et 1584 baptêmes ! Un autre exemple de sa tâche, le 9 février 1763, 20 mariages et 10 baptêmes … 
Cette charge de travail se complète par de nombreuses démarches pour l’église réformée :
- Susciter des vocations,
- L’organisation de colloques et synodes, 
- Diverses correspondances avec les autres provinces, 
- Des requêtes au pouvoir royal pour demander plus de tolérance et de justice.

C’est donc avec impatience que les deux pasteurs attendent de nouveaux collègues. 

En effet, ils écrivent au séminaire de Lausanne « Nous ne pouvons plus suffire pour répondre aux diverses occupations qui se présentent et se multiplient chaque jour » le 2 octobre 1764, demandant au séminaire de Lausanne qu'on leur envoie TRANCHEE au plus vite En 1765, le pasteur TRANCHEE arrive donc, suivi en 1768, par le pasteur GIBAUD.

Grâce à un écrit d’août 1762, conservé à la Société de l'Histoire du Protestantisme Français (SHPF), on apprend que la santé de Pierre est chancelante.

Malgré tout cela, son ancien maître et collègue le marie le 26 décembre 1765 avec Marie DELECHELLE, jeune femme de l’Angoumois, plus précisément de Villefagnan, âgée d’environ 28 ans, Pierre a déjà 34 ans.


Ils auront à ma connaissance qu’un fils unique, Pierre-Henry né en novembre 1769.

C’est à cette époque qu’il écrit le « Vocabulaire secret d'un pasteur du Poitou au XVIIIe ». Cet écrit est conservé en 3 copies, une à la Société Historique du Protestantisme Français à Paris, une au musée du Désert dans le Gard et une autre copie au musée du Protestantisme de l’Ouest à Monsireigne en Vendée.

Folio 22 du "vocabulaire" de Pierre

Après le renfort de deux autres pasteurs en juin 1771, les frères METAYER, Jacques et Pierre, Pierre officie en Saintonge, à Jonzac, St Just, Marennes et Bourcefranc et en Angoumois, à Segonzac, en 1771 et 1772.
On peut noter ses périodes d'absences sur ses registres aux dates suivantes :
- du 24 juin au 4 août 1771, 
- du 23 décembre 1771 au 8 février 1772, 
- du 7 septembre au 4 octobre 1772, 
- du 6 décembre 1772 au 25 janvier 1773.

En juin 1773, Pierre demande au Synode de Poitou un an de congé, il signe son dernier acte le 22 juin. Sa demande acceptée, en juillet, Pierre part du Poitou et retourne officier en intérim en Angoumois (premier acte le 1er août) mais suite à une place vacante, il est admis officiellement à partir de juin 1774 pour des honoraires de 800 livres, à une place de pasteur dans ces provinces de Saintonge et Angoumois. Est-ce pour sa santé que Pierre a décidé de quitter le Poitou ? ou pour ces honoraires plus avantageux qu’en Poitou ?

Ce poste englobe les églises de Segonzac, chez Piet, St Fort et Mortagne.

En Poitou, c’est un ami de Pierre, François GOBINAUD  dit Bazel qui le remplace.

En 1774 et 1775, Pierre revient quelques fois en Poitou, à Pouzauges par exemple.

Sa santé se dégradant, son secteur de prêche n’est désormais que les églises de Jonzac, et plus précisément, au temple situé dans le village de chez Piet sur la paroisse de Lignières-Sonneville et de Segonzac.

l'église chez Piet, se trouve dans une zone très rurale avec seulement des chemins pour aller d'un village à l'autre
En 1782, le colloque de Saintonge et d’Angoumois signale que « la maladie fâcheuse que vient d’essuyer Mr POUGNARD, nostre pasteur, exige plusieurs mois de repos et l’usage de quelques remèdes pour parvenir au rétablissement de sa santé, qui était déjà affaiblie depuis longtemps avant l’accident qu’il vient d’éprouver ». Considérant que Pierre est « hors d’état de fonctionner et surtout de voyager » le synode demande de lui adjoindre de l’aide. C'est sans doute pour cela que le registre s'arrête en octobre 1782.

dernier acte conservé de Pierre le 16 octobre 1782
A partir de là, il n’exerce plus guère et sur une lettre (conservée à la bibliothèque de la SHPF) du 15 août 1783 qu’il envoie à son ami pasteur, GOBINAUD, il dit « ma santé est toujours beaucoup chancelante, je vaque néanmoins à mes fonctions ».

Pierre meurt à Segonzac, le 14 mars 1784 à l’âge de 52 ans.

« La douleur de la mort de Pierre se fit sentir vivement dans les églises, il laissait en effet un souvenir béni, d’un caractère doux et pacifique quoique ferme, il sut se faire apprécier et aimer de tous ceux qu’il approcha » (extrait du bulletin de 1889 de la Société Historique du Protestantisme Français).

Sa veuve devra réclamait à plusieurs reprises « l’entier paiement des arrérages du à feu mon mari par l’église de chez Piet ». De même, on lui demande de restituer de nombreux documents que son mari avait en sa possession, comme « un recueil des pasteurs et églises du Royaume qui subsistaient  avant la révocation de l’Edit ».

En juin 1784, par le synode qui lui donne un remplaçant, son fils âgé d’une quinzaine d’années est accepté au nombre des étudiants pasteur de la province de Saintonge.

Ce dernier exercera quelques temps au temple de la Tremblade, après avoir été consacré par le Synode de Gémozac en avril 1791. C’est dans cette ville de la Tremblade qu’il se marie fin 1792 (religieusement) et début 1793 (civilement) et y fonde une famille. Il y sera « agent communal » dans la période post-révolutionnaire, tout en étant greffier de la justice de Paix.

Sa veuve, Marie DELECHELLE, retournée vivre à une période inconnue dans sa commune natale de Villefagnan, y meurt en avril 1808 à 72 ans, c’est un neveu qui déclare son décès.

Son fils Pierre-Henry, meurt propriétaire à Arvert en 1832 à 62 ans.
Son petit-fils, Pierre-Henry, né en 1795, exercera la profession de notaire puis de juge de Paix du canton de la Tremblade. En 1865, il écrit un « Guide des Juges de Paix ». Il meurt en 1872 à 77 ans à la Tremblade.

Les registres conservés de Pierre pour le Poitou, de 1761 à 1773, sont en ligne ici : https://archinoe.fr/v2/ad79/visualiseur/etatcivil.html?id=790005167

Son premier registre de mars 1760 à septembre 1761 a disparu pour les archives des Deux-Sèvres mais la bibliothèque de la  Société Historique du Protestantisme Français aurait une copie de tous ses registres …

Pendant son ministère dans le Poitou, Pierre aura célébré 1149 mariages et 4061 baptêmes.

On retrouve ses actes dans le registre protestant de Lignières-Sonneville en Charente à partir du 1er août 1773 (pour mémoire, il a signé son dernier acte en Poitou le 22 juin) et jusqu'en octobre 1782, voir plus haut.

J’ai écrit ce billet en m’inspirant et/ou en extrayant certains passages de l’excellent article « Le vocabulaire secret d'un pasteur du Poitou (vers 1770) » de Pierre RÉZEAU du CNRS de Nancy. 
Cet article a été écrit pour le tricentenaire de la révocation de l’Edit de Nantes et paru en mai 1985 dans la revue Aguiaine : revue de recherches ethnographiques, revue éditée par les sociétés suivantes : 
Société d'études folkloriques du Centre-Ouest de Grandjean (17)
Société d'ethnologie et de folklore du Centre-Ouest de Saint-Jean-d'Angély (17)

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